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Comment fonctionnent Fitch, Standard & Poor’s, Moody’s et les autres agences de notation mondiales ?

Alors que les mauvaises nouvelles s’accumulent sur le front de l’économie française et que le premier ministre a présenté son projet de budget, l’agence de notation Fitch doit décider, vendredi 11 octobre dans la soirée, si elle dégrade ou maintient la note financière (AA−) de la France.
Lors des précédentes échéances, ces agences de notation avaient choisi de maintenir la note souveraine de la France, mais le ministère de l’économie avait été échaudé par la précédente décision de Fitch, qui avait dégradé la note tricolore en juin 2023.
Standard & Poor’s, Moody’s et Fitch : ces trois noms reviennent régulièrement dans l’actualité économique, assortis d’une évaluation, du bon élève (AAA) au cancre (D). Mais que recouvrent exactement ces notations ? Faut-il payer pour être noté, et combien ? Qui sont ces évaluateurs de l’économie mondiale ? Quels problèmes peuvent poser leur fonctionnement et leur modèle économique ?
C’est une entreprise dont l’objet est d’évaluer la santé financière d’une autre entreprise ou d’une entité publique – Etat, ville, département ou région. L’agence de notation étudie surtout la capacité à rembourser les dettes, critère qui intéresse le plus les investisseurs.
Les analystes écrivent différents scénarios et calculent la probabilité que chacun d’entre eux se réalise, en se fondant sur les entrées et les sorties financières de l’entité qui est notée. Ils utilisent parfois des données fournies par l’entreprise examinée ou celles d’instituts comme Eurostat ou l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee).
L’agence prend aussi en compte des paramètres plus globaux comme, pour la France, « les pressions sociales et politiques illustrées par les manifestations contre la réforme des retraites » pour reprendre les termes de la note d’avril de Fitch. In fine, l’agence convient d’un score présenté sous forme de lettres, de AAA (bonne solvabilité) à D (faillite). Moody’s s’arrête à C, avec un système de notation légèrement différent des deux autres.
Trois entreprises de notation, toutes américaines, se partagent l’essentiel du marché au niveau mondial : Standard & Poor’s, Moody’s et Fitch. En 2022, les « Big Three », comme elles sont surnommées, détenaient 93 % des parts du marché de l’Union européenne. Et, malgré la recommandation de l’Autorité européenne des marchés financiers de favoriser l’une des dix-sept autres agences accréditées minoritaires, ces trois mastodontes continuent de régner sur les notations. Les entités publiques françaises ayant commandé des notations financières depuis 2017 n’ont d’ailleurs pas suivi cette recommandation et ont toutes recouru à l’un des trois géants.
L’un des « Big Three », Fitch, a eu jusqu’en 2018 des capitaux français. Alors détenu par Fimalac, propriété du milliardaire Marc Ladreit de Lacharrière, il a finalement été cédé au groupe de médias américain Hearst Corporation. Ses deux concurrents appartiennent à deux groupes spécialisés dans l’information économique, S&P Global et le conglomérat Moody’s Corporation, possédé en partie par le milliardaire Warren Buffett. Ces deux entreprises étant cotées en Bourse, elles ont l’obligation de détailler leurs résultats financiers : depuis dix ans, elles ont plus que doublé leur chiffre d’affaires en dépit d’un nombre plus faible de notations réalisées.
Quand une agence attribue une note en baisse à une entité, on dit qu’elle dégrade la notation. Par ricochet, elle dégrade aussi ses conditions d’emprunt ; comme il existe peu de repères objectifs sur les marchés financiers, cette note, même si elle n’est qu’indicative, va les influencer très fortement – elle est même obligatoire dans la gestion de grands comptes.
Un spécialiste de BNP Paribas confiait lors d’une enquête au Sénat, en 2012 : « Tous les clients professionnels, du fonds de pension nordique à la banque centrale asiatique, qui ont des années de réserves devant eux, ont fixé leurs règles de gestion en fonction du rating [notation] : pas de limite pour le triple A, limite pour le double A, pas plus de 5 % pour le A, interdiction ensuite. »
Chaque évolution de note est guettée par les différents acteurs, car cela détermine si – et combien – un Etat, une collectivité ou une entreprise peut emprunter auprès des investisseurs, et à quel taux. Par exemple, en 2009, quand les agences de notation ont brutalement dégradé les notes des crédits hypothécaires à risque (subprimes), leur valeur a fondu sur les marchés et plusieurs fonds d’investissement ont mis la clé sous la porte.
La crise des dettes européennes, lors de laquelle une grande partie des pays du sud de l’Europe a été reléguée dans des catégories à haut risque, illustre parfaitement ce phénomène, comme le détaillait en 2012 le gouverneur de la Banque de France, Christian Noyer : « Il est très clairement apparu en Europe au cours de l’année 2011 que les prophéties concernant la soutenabilité de la dette pouvaient être autoréalisatrices. Elles poussent à la hausse les primes de risque et les taux d’intérêt, ce qui nécessite de dégager des excédents primaires plus importants et complique l’atteinte de l’équilibre budgétaire. »
Depuis les années 1970, les agences de notation ont changé de modèle économique ; elles étaient auparavant payées par les utilisateurs finaux de leurs notes, en particulier les banques, qui cherchaient à savoir où placer leur argent en lieu sûr. Désormais, elles sont rémunérées par l’entité, publique ou privée, qu’elles évaluent : leur client est leur objet d’étude. Seules certaines notations sont gratuites, celles des pays les plus riches, car elles concernent des acteurs indispensables pour établir une référence. On parle alors de notations « non sollicitées », explique l’Agence France Trésor, qui gère la dette française, notée gratuitement.
En parallèle de ces notations souveraines, d’autres entités publiques peuvent demander à être notées afin de lever ensuite des capitaux sur le marché de la dette : régions, départements, villes, hôpitaux… Selon son dernier contrat, la Ville de Paris a ainsi budgété près d’un million d’euros sur quatre ans pour sa notation et « le suivi de [sa] qualité de crédit ». Le 9 mai, conséquence de la dégradation de la note française, elle a vu avec onze autres collectivités territoriales sa note abaissée à AA−.
Les entreprises, elles, sont toujours plus nombreuses à solliciter une notation (+ 20 % en dix ans). Les agences sont très frileuses quand il s’agit de donner leurs tarifs, mais selon plusieurs sources, une agence touche plusieurs dizaines de milliers d’euros pour noter une PME, et jusqu’à un million d’euros pour une banque importante ou une grande maison d’assurance.
En revanche, le segment prospère au début des années 2000 des produits de spéculation sophistiqués comme les subprimes s’est très nettement tassé à la suite de la crise financière de 2009 provoquée par l’explosion de la bulle immobilière américaine.
Le nouveau modèle économique fait peser sur les agences le soupçon du conflit d’intérêts. En effet, les agences peuvent être tentées d’adoucir une note pour s’assurer que l’entreprise notée, leur client, sera satisfaite. Dans un courriel, obtenu par une commission d’enquête sénatoriale américaine en marge de la crise de 2009, une dirigeante de Standard & Poor’s évoquait la possibilité de changer les critères de notation pour ne pas perdre certains clients, qui pourraient se tourner vers la concurrence s’ils étaient mécontents de leur note. Aujourd’hui, les agences assurent qu’il existe une étanchéité totale entre leur département commercial et celui des analyses.
L’Europe ne s’est penchée sur la question du contrôle de ces acteurs controversés de la finance qu’après la crise de 2009. L’Autorité européenne des marchés financiers, auprès de laquelle les agences doivent être accréditées, peut désormais diligenter des enquêtes si des infractions potentielles sont identifiées. Dans le pire des cas, les agences peuvent même perdre leur accréditation.
En 2019, Fitch a été sanctionné d’une amende de plus de 5 millions d’euros pour ne pas avoir respecté la législation sur la prévention des conflits d’intérêts, en notant le groupe Casino, dont M. Ladreit de Lacharrière était administrateur à une époque où il possédait encore l’agence à travers sa holding. En 2021, c’est Moody’s qui reçoit une amende totale de 3,7 millions d’euros (partagée entre ses cinq branches européennes) pour avoir noté plusieurs entités où son actionnaire Berkshire Hathaway avait des parts.
Mathilde Damgé et Manon Romain
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